ANDREW TSHABANGU

ANDREW TSHABANGU, The Evidence of Things, commissariat de Simon Njami

THE EVIDENCE OF THINGS

SEPTIEME Paris, curatée par Simon Njami

7 janvier – 24 avril 2021


Les photographies d’Andrew Tshabangu sont discrètes, dans le sens où l’auteur s’attache à nous révéler un monde qui lui est familier. Elles ne font pas bruit, au sens où l’entendait Roland Barthes, parce qu’elles se refusent à être démonstratives. Elles se contentent, avec humilité et subtilité, de pointer du doigt, pour reprendre une expression chère à James Baldwin, l’évidence des choses que l’on ne voit.

CARTOGRAPHIE DE L’INTIME

Andrew Tshabangu aime son pays. Il aime sa ville Johannesburg. Il aime sa communauté, au sens le plus noble de ce mot écorché par des « ismes » récents. Il entretient avec ce miroir de sa propre existence une relation intime et fusionnelle. Ses photographies ne sont pas l’oeuvre d’un voyeur à la quête d’images sensationnelles et vulgaires, d’images bruyantes, selon les mots de Roland Barthes. Bien au contraire, son registre est celui du silence et de l’intimité. C’est là qu’intervient cet effet miroir qui le projette dans chaque cliché qui l’attire. Il se retrouve en situation. Il opère des autoportraits sur tout ce qui l’entoure, objet, ville, personnages. Les lieux de l’intime sont divers. Nous avons dressé ici une modeste cartographie qui éclairera peut-être le spectre à travers lequel opère le photographe.

Ouverture sur la mer, sur l’eau qui régit tant d’aspects de nos vies. C’est dans l’eau que s’opèrent toutes sortes de renaissances. Celle physique, d’abord, qui opère sur le corps et celle spirituelle qui nous lave, métaphoriquement de nos péchés et salissures. Le rapport de nos corps à la mer est un rapport singulier et exclusif. C’est une relation, pour reprendre le propos de Charles Baudelaire, d’êtres libres : Homme libre, toujours tu chériras la mer !/ La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme/ Dans le déroulement infini de sa lame,/ Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Quoi de plus insondable que l’âme humaine et quoi de plus intime que notre rapport à la spiritualité et à Dieu ? Les scènes sont sensibles, sacrées, oserions-nous écrire. Pourtant la caméra invisible de Tshabangu s’y glisse, s’y meut en terrain familier, faisant corps avec ceux qui expriment leur dévotion. Aucun jugement, au contraire, une infinie tendresse pour ces prières qui ne trouveront peut-être jamais de réponse mais dont l’unique beauté tient précisément dans cette foi qui s’exprime sans fard. Comme s’exprime une quotidienneté tranquille et modeste dans les intérieurs décrits par le photographe, l’atmosphère qu’il parvient à retranscrire est un éloge à la grandeur de la modestie.

La ville, cela pourrait sembler un paradoxe, est une autre forme d’intimité dans le rapport que nous entretenons tous avec elle. Chacun traverse et éprouve une ville différente qui s’étale à travers son expérience et ses parcours. Il n’existe jamais une ville unique, mais comme l’écrivait Barthes, une mille-feuille de sensations et de chemins définis par l’usage que nous en avons. Nous ne faisons pas, contrairement à ce que nous pourrions penser, la ville. C’est elle qui nous fait et nous soumet à ses lois, quand bien même nous conserverions l’illusion d’en être les maîtres, c’est elle qui nous domine et nous contraint à entretenir avec elle un dialogue particulier.

Tshabangu est un adepte du « clear shot » que l’on pourrait traduire dans le langage des snipers par tir dégagé. Le sniper est un tireur d’élite qui ne doit négliger aucun détail, car chaque détail forme la trame d’une narration plus vaste. La prévision de son regard confère à toutes ses images une humanité qui ne dit pas son nom mais qui, sous nos yeux, se dévoile comme une évidence.

– Simon Njami